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L’HOMME.

mort du poète. Les lettres de Boileau n’ont pas le charme ni l’esprit qu’on trouve dans celles de Racine et de Fénelon. Une chose lui manque, et lui a toujours manqué, c’est l’abandon, la richesse des émotions intimes et le besoin de s’épancher. Il ira à Bourbon-l’Archambault, et il en reviendra, sans rapporter de son voyage une seule impression. « Moulins est une ville très marchande et très peuplée. » Voilà tout ce qu’il a ressenti. Comparez à cette sécheresse La Fontaine s’en allant à Limoges : il n’est pas encore à Étampes, qu’il a vu cent choses, et noté cent impressions, qui se traduiront plus tard par tels vers exquis des Fables. Même avec Racine, qu’il aime tendrement, Boileau ne se livre pas : du moins, il livre ce qu’il a, et c’est peu. Il écrit comme il cause, ou plutôt moins bien qu’il ne cause : car sa verve courte et sèche n’est pas faite pour le monologue ; il lui faut des répliques pour la reposer et de la contradiction pour l’animer. Nous avons peine à nous figurer entre deux amis intimes, deux poètes surtout, ce ton de politesse cérémonieuse et froide. Jamais ils ne manquent de s’appeler « monsieur » ; et « mon cher monsieur » dénote les moments de plus grand abandon et de moindre tenue. La tendresse est en-dessous, dans la pensée et non dans les mots. Racine, ici, n’est pas plus vif que Boileau, c’est un trait des mœurs du siècle.

Comme ils n’écrivent point pour s’épancher ni pour s’amuser, et qu’ils parlent de leurs affaires, leurs lettres en perdent un peu d’éclat et d’intérêt