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L’HOMME.

Racine et Boileau s’avisèrent un jour, quand après les premières Satires Racine mena son ami chez l’illustre Chapelain, à qui il le présenta sous le nom de bailli de Chevreuse ? Le bonhomme, assez mal vêtu à son ordinaire, ayant sur la tête son immortelle perruque, quelques maigres tisons de l’an passé faisant mine de se consumer dans sa cheminée, combla de civilités son protégé et le provincial qu’on lui annonçait comme un admirateur de la Pucelle. Par malheur, la conversation vint à tomber sur la comédie, et le faux bailli s’échauffa sur l’éloge de Molière : il allait se trahir, si Racine ne l’eût emmené, juste à point pour n’être pas reconnu par Cotin, qu’ils rencontrèrent sur l’escalier. On a tant défiguré le vrai caractère de Despréaux, qu’il n’est pas inutile de le montrer capable d’une assez mauvaise farce.

Il n’importe pas moins d’établir que ce très raisonnable poète aimait la bonne chère, et savait aussi bien ordonner un dîner qu’un poème selon les règles. C’est l’éloge que lui donna le comte de Broussin, un des fins gourmets de ce siècle qui fut classique même à table, un jour que Boileau l’avait traité avec le duc de Vitry, Gourville et Barillon. Une autre fois, il recevait à souper le duc de Vivonne, car il hantait maintenant les nobles compagnies. J’imagine qu’il avait connu ces amis qualifiés au cabaret, ou chez les comédiennes, près desquelles son ami Racine l’avait introduit. Et notons-le, pour saisir la physionomie de Despréaux dans son véritable jour, il aborde la bonne compagnie par