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tinguer nettement de ses propres observations. Dans la vie de tous les jours, n’acceptons-nous pas indifféremment, sans vérification d’aucune sorte, des on-dit, des renseignements anonymes et sans garantie, toutes sortes de « documents » de médiocre ou de mauvais aloi ? Il faut une raison spéciale pour prendre la peine d’examiner la provenance et la valeur d’un document sur l’histoire d’hier ; autrement, s’il n’est pas invraisemblable jusqu’au scandale, et tant qu’il n’est pas contredit, nous l’absorbons, nous nous y tenons, nous le colportons, en l’embellissant au besoin. Tout homme sincère reconnaîtra qu’un violent effort est nécessaire pour secouer l’ignavia critica, cette forme si répandue de la lâcheté intellectuelle ; que cet effort doit être constamment répété, et qu’il s’accompagne souvent d’une véritable souffrance.

L’instinct naturel d’un homme à l’eau est de faire tout ce qu’il faut pour se noyer ; apprendre à nager, c’est acquérir l’habitude de réprimer des mouvements spontanés et d’en exécuter d’autres. De même, l’habitude de la Critique n’est pas naturelle ; il faut qu’elle soit inculquée, et elle ne devient organique que par des exercices répétés.

Ainsi le travail historique est un travail critique par excellence ; lorsqu’on s’y livre sans s’être préalablement mis en défense contre l’instinct, on s’y noie. Pour être averti du danger, rien n’est plus efficace que de faire un examen de conscience, et d’analyser les raisons de l’ignavia qu’il s’agit de combattre jusqu’à ce qu’elle ait fait place à une attitude d’esprit critique[1]. Il est aussi très salutaire de s’être rendu compte

  1. La raison profonde de la crédulité naturelle, c’est la paresse. Il est plus commode de croire que de discuter, d’admettre.