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venir prendre place. Aussi aucun historien ne peut-il en toute sécurité utiliser les résultats du travail d’un autre, comme on fait dans les sciences constituées, car il ignore s’ils ont été obtenus par des procédés sûrs. Les plus scrupuleux en viennent à ne rien admettre qu’après avoir refait eux-mêmes le travail sur les documents ; c’était l’attitude de Fustel de Coulanges. À peine peut-on satisfaire à cette exigence pour les périodes très mal connues dont tous les documents conservés tiennent en quelques volumes, et pourtant on en est venu à poser en dogme qu’un historien ne doit jamais travailler de seconde main[1]. On le fait par nécessité, quand les documents sont trop nombreux pour être tous lus ; mais on ne le dit pas, par crainte du scandale.

Il vaudrait mieux s’avouer franchement la réalité. Une science aussi complexe que l’histoire, où il faut d’ordinaire entasser les faits par millions avant de pouvoir formuler une conclusion, ne peut se fonder par ce perpétuel recommencement. On ne fait pas la construction historique avec des documents, pas plus qu’on n’« écrit l’histoire avec des manuscrits », et pour la même raison, qui est une raison de temps. C’est que pour faire avancer la science, il faut combiner les résultats obtenus par des milliers de travaux de détail.

Comment faire pourtant, puisque la plupart des travaux sont faits par une méthode suspecte, sinon incorrecte ? La confiance universelle mènerait à l’erreur aussi sûrement que la défiance universelle mène à l’impuissance. Voici du moins une règle qui permettra

  1. Voir dans P. Guiraud, Fustel de Coulanges (Paris, 1896, in-12), p. 164, des observations très judicieuses sur cette prétention.