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rentes qui font l’intérêt de l’histoire. Comment se représenter ces traits différents pour lesquels le modèle nous manque ? Nous n’avons vu aucune troupe semblable aux guerriers francs ni ressenti personnellement les sentiments de Clovis partant en guerre contre les Wisigoths. Comment imaginer ces faits de façon qu’ils soient conformes à la réalité ?

En pratique voici ce qui se passe. Aussitôt qu’une phrase d’un document est lue, une image est formée dans notre esprit par une opération spontanée dont nous ne sommes pas maîtres. Cette image, produite par une analogie superficielle, est d’ordinaire grossièrement fausse. Chacun de nous peut retrouver dans ses souvenirs la façon absurde dont il a conçu d’abord les personnages et les scènes du passé. Le travail de l’histoire consiste à rectifier graduellement nos images en remplaçant un à un les traits faux par des traits exacts. Nous avons vu des gens à cheveux roux, des boucliers, des francisques (ou des dessins de ces objets) ; nous rapprochons ces traits pour corriger notre image première des guerriers francs. L’image historique finit ainsi par être une combinaison de traits empruntés à des expériences différentes.

Il ne suffit pas de se représenter des êtres et des actes isolés. Les hommes et les actes font partie d’un ensemble, d’une société et d’une évolution : il faut donc se représenter aussi les rapports entre les hommes et les actes (nations, gouvernements, lois, guerres).

Mais pour imaginer des rapports il faut concevoir un ensemble et les documents ne nous donnent que des traits isolés. Ici encore l’historien est forcé de recourir à un procédé subjectif. Il imagine une société ou une évolution et, dans ce cadre imaginé, il range les traits fournis par les documents. — Ainsi, tandis