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raison en est que chaque notion désignée par un nom a été formée par une méthode d’observation et d’abstraction qui a précisé et décrit tous les caractères communs à cette notion.

Mais, à mesure qu’une connaissance se rapproche des faits intérieurs invisibles, les notions deviennent plus confuses et la langue moins précise. Nous n’arrivons à exprimer les faits humains même les plus vulgaires, conditions sociales, actes, motifs, sentiments, que par des termes vagues (roi, guerrier, combattre, élire). Pour les phénomènes plus complexes la langue est si indécise qu’on ne s’accorde même plus sur les éléments nécessaires du phénomène. Qu’est-ce qu’une tribu, une armée, une industrie, un marché, une révolution ? Ici l’histoire participe du vague de toutes les sciences de l’humanité, psychologiques ou sociales. Mais son procédé indirect de représentation par images rend ce vague encore plus dangereux. — Nos images historiques devraient donc reproduire au moins les traits essentiels des images qu’ont eues dans l’esprit les observateurs directs des faits passés : or les termes dans lesquels ils ont exprimé leurs images ne nous apprennent jamais exactement quels en étaient les éléments essentiels.

Des faits que nous n’avons pas vus, décrits dans des termes qui ne permettent pas de nous les représenter exactement, voilà les données de l’histoire. L’historien, obligé pourtant de se représenter des images des faits, doit vivre avec la préoccupation de ne construire ses images qu’avec des éléments exacts, de façon à s’imaginer les faits comme il les aurait vus s’il avait pu les observer lui-même[1]. Mais il a besoin pour former une

  1. C’est ce que Carlyle et Michelet ont dit sous une forme élo-