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IV. Comment donc imaginer des faits qui ne soient pas entièrement imaginaires ? Les faits imaginés par l’historien sont forcément subjectifs ; c’est une des raisons qu’on donne pour refuser à l’histoire le caractère de science. Mais subjectif n’est pas synonyme d’irréel. Un souvenir n’est qu’une image et n’est pourtant pas une chimère, il est la représentation d’une réalité passée. Il est vrai que l’historien, en travaillant sur les documents, n’a pas à son service des souvenirs personnels ; mais il se fait des images sur le modèle de ses souvenirs. Il suppose que les faits disparus (objets, actes, motifs), observés autrefois par les auteurs de documents, étaient semblables aux faits contemporains qu’il a vus lui-même et dont il a gardé le souvenir. C’est le postulat de toutes les sciences documentaires. Si l’humanité de jadis n’était pas semblable à l’humanité actuelle, on ne comprendrait rien aux documents. Partant de cette ressemblance, l’historien se forme une image des faits anciens historiques semblable à ses propres souvenirs des faits qu’il a vus.

Ce travail, qui se fait inconsciemment, est en histoire une des principales occasions d’erreur. Les choses passées qu’il faut s’imaginer ne sont pas entièrement semblables aux choses présentes qu’on a vues ; nous n’avons vu aucun homme pareil à César ou à Clovis, et nous n’avons pas passé par les mêmes états intérieurs qu’eux. Dans les sciences constituées on opère aussi sur des faits vus par d’autres observateurs et qu’il faut se représenter par analogie ; mais ces faits sont définis en termes précis qui indiquent quels éléments invariables doivent entrer dans l’image. Même en physiologie les notions sont assez nettement établies pour qu’un même mot éveille chez tous les naturalistes une image semblable d’un organe ou d’un mouvement. La