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celle de vérité, et qu’on peut même analyser en ses éléments ; mais on n’a aucun moyen de discerner s’ils viennent de la réalité ou de l’imagination. C’est, suivant l’expression de Niebuhr, « un mirage produit par un objet invisible, suivant une loi de réfraction inconnue ».

Le procédé d’analyse le plus naïf consiste à rejeter dans le récit légendaire les détails qui paraissent impossibles, miraculeux, contradictoires ou absurdes, et à conserver comme historique le résidu raisonnable. C’est ainsi que les protestants rationalistes ont traité les récits bibliques au xviiie siècle. Autant vaudrait amputer le merveilleux d’un conte de fées, supprimer le Chat botté pour faire du marquis de Carabas un personnage historique. — Une méthode plus raffinée, mais non moins dangereuse, consiste à comparer les diverses légendes pour en tirer le fond historique commun. — Grote[1], à propos de la tradition grecque, a démontré l’impossibilité de tirer de la légende, par quelque procédé que ce soit, aucun renseignement sûr[2]. Il faut se résigner à traiter la légende comme le produit de l’imagination d’un peuple ; on peut y chercher les conceptions du peuple, non les faits extérieurs auxquels il a assisté. Ainsi la règle doit être de rejeter toute affirmation d’origine légendaire ; et il ne s’agit pas seulement des récits de forme légendaire : un récit d’apparence historique fabriqué avec les données de la légende, comme les premiers chapitres de Thucydide, doit être écarté aussi.

En cas de transmission écrite il reste à chercher

  1. Histoire de la Grèce, trad. fr., t. II. On peut comparer Renan, Histoire du peuple d’Israël, t. I, Paris, 1887, in-8. Introduction.
  2. Cela n’a pas empêché Niebuhr de faire avec la légende romaine sur la lutte entre patriciens et plébéiens une construction qu’il a fallu démolir, ni Curtius, vingt ans après Grote, de chercher des faits historiques dans la légende grecque.