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6ecas. L’auteur a essayé de plaire au public par des artifices littéraires, il a déformé les faits pour les rendre plus beaux, suivant sa conception de la beauté. Il faut donc chercher l’idéal de l’auteur ou de son temps pour se défier des passages déformés suivant cet idéal. Mais on peut prévoir les genres habituels de déformation littéraire. — La déformation oratoire consiste à attribuer aux personnages des attitudes, des actes, des sentiments et surtout des paroles nobles ; c’est une disposition naturelle aux jeunes garçons qui commencent à pratiquer l’art d’écrire et aux écrivains encore à demi barbares : c’est le travers commun des chroniqueurs du moyen âge[1]. — La déformation épique embellit le récit en y ajoutant des détails pittoresques, des discours tenus par des personnages, des chiffres, parfois même des noms de personnages ; elle est dangereuse parce que les détails précis donnent l’illusion de la vérité[2]. — La déformation dramatique consiste à grouper les faits pour en augmenter la puissance dramatique en concentrant sur un seul moment ou un seul personnage ou un seul groupe des faits qui ont été dispersés. C’est ce qu’on appelle faire « plus vrai que la vérité ». C’est la déformation la plus dangereuse, celle des historiens artistes, d’Hérodote, de Tacite, des Italiens de la Renaissance. — La déformation lyrique exagère les sentiments et les émotions de l’auteur et de ses amis, pour les faire paraître plus intenses : on doit en tenir compte dans les études qui prétendent reconstituer « la psychologie » d’un personnage.

La déformation littéraire agit peu sur les documents d’archives (bien qu’on la trouve dans la plupart des

  1. Suger, dans la Vie de Louis VI, est un modèle du genre.
  2. Tschudi, Chronicon Helveticum, en est un exemple frappant.