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positive d’interprétation, nécessaires pour s’assurer de ce que l’auteur a voulu dire ; 2o l’analyse des conditions où le document s’est produit et la critique négative, nécessaires pour contrôler les dires de l’auteur. Encore ce dédoublement du travail critique n’est-il pratiqué que par une élite. La tendance naturelle, même des historiens qui travaillent avec méthode, est de lire le texte avec la préoccupation d’y trouver directement des renseignements, sans penser à se représenter exactement ce que l’auteur a eu dans l’esprit[1]. Cette pratique est excusable tout au plus pour les documents du xixe siècle, écrits par des hommes dont la langue et la façon de penser nous sont familières, dans les cas où une seule interprétation est possible. Elle devient dangereuse dès que les habitudes de langage ou de pensée de l’auteur s’écartent de celles de l’historien qui le lit ou que le sens du texte n’est pas évident et incontestable. Quiconque, lisant un texte, n’est pas occupé exclusivement de le comprendre, arrive forcément à le lire à travers ses impressions[2] ; dans le document il est frappé par les phrases ou les mots qui répondent à ses propres conceptions ou s’accordent avec l’idée a priori qu’il s’est formée des faits ; sans même s’en apercevoir, il détache ces phrases ou ces mots et en forme un texte imaginaire qu’il met à la place du texte réel de l’auteur[3]

  1. Taine paraît avoir procédé ainsi dans Les Origines de la France contemporaine, t. II, la Révolution ; il avait fait des extraits de ses documents inédits et en a inséré un grand nombre dans son ouvrage, mais on ne voit pas qu’il en eût fait d’abord l’analyse méthodique pour en déterminer le sens.
  2. L’allemand a un mot très exact pour rendre ce phénomène, hineinlesen ; le français n’a pas d’expression équivalente.
  3. Fustel de Coulanges explique très clairement le danger de cette méthode. « Quelques érudits commencent par se faire une opinion… et ce n’est qu’après cela qu’ils lisent les textes. Ils