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des textes : au contraire, il les abîmait, involontairement, en y touchant. Comme le daltonisme, cette affection des organes de la vision qui empêche de distinguer correctement les disques rouges des disques verts, est rédhibitoire pour les employés de chemin de fer, la maladie de l’inexactitude, ou maladie de Froude, qu’il n’est pas très difficile de diagnostiquer, doit être considérée comme incompatible avec l’exercice de la profession d’érudit.

La maladie de Froude ne paraît pas avoir été jamais étudiée par les psychologues ; et sans doute n’est-elle point, du reste, une entité nosologique spéciale. Tout le monde commet des erreurs (par « légèreté », « inadvertance », etc.). Ce qui est anormal, c’est d’en commettre beaucoup, constamment, malgré l’effort le plus persévérant pour être exact. Ce phénomène est lié probablement à un affaiblissement de l’attention et à une excessive activité de l’imagination involontaire (ou subconsciente] que la volonté du sujet, instable et peu vigoureuse, ne contrôle pas assez. L’imagination involontaire se mêle aux opérations intellectuelles pour les fausser : c’est elle qui comble, par des conjectures, les lacunes de la mémoire, grossit et atténue les faits réels, les confond avec ce qui est d’invention pure, etc. La plupart des enfants dénaturent tout de la sorte, par des à peu près ; ils ont de la peine à devenir exacts et scrupuleux, c’est-à-dire à maîtriser leur imagination. Beaucoup d’hommes ne cessent jamais, à cet égard, d’être enfants.

Quoi qu’il en soit des causes psychologiques de la maladie de Froude, l’homme le plus sain, le mieux équilibré, est exposé à gâcher les travaux d’érudition les plus simples, s’il n’y consacre pas le temps nécessaire. La précipitation est, en ces matières, une source