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cet égard ne serait qu’une manifestation de leur imbécillité générale ; ou s’ils n’avaient jamais subi d’apprentissage technique. Mais il s’agit d’hommes instruits et intelligents, plus intelligents parfois que d’autres, qui sont indemnes de la tare en question. Ce sont eux dont on entend dire : « Il travaille mal, il a le génie de l’inexactitude ». Leurs catalogues, leurs éditions, leurs regestes, leurs monographies fourmillent d’imperfections et n’inspirent point de sécurité : quoi qu’ils fassent, ils n’arrivent jamais, je ne dis pas à une correction absolue, mais à un degré de correction honorable. Ils sont atteints de la « maladie de l’inexactitude », dont l’historien anglais Froude présente un cas très célèbre, vraiment typique. J. A. Froude était un écrivain très bien doué, mais sujet à ne rien affirmer qui ne fût entaché d’erreur ; on a dit de lui qu’il était constitutionnally inaccurate. Par exemple, il avait visité la ville d’Adélaïde, en Australie : « Je vis, dit-il, à nos pieds, dans la plaine, traversée par un fleuve, une ville de 150 000 habitants dont pas un n’a jamais connu et ne connaîtra jamais, la moindre inquiétude au sujet du retour régulier de ses trois repas par jour » ; or Adélaïde est bâtie sur une hauteur ; aucune rivière ne la traverse ; sa population ne dépassait pas 75 000 âmes et elle souffrait d’une famine à l’époque où M. Froude la visita. Ainsi de suite[1]. M. Froude reconnaissait parfaitement l’utilité de la critique, et il a même été un des premiers à fonder en Angleterre l’étude de l’histoire sur celle des documents originaux, tant inédits que publiés, mais la conformation de son esprit le rendait tout à fait impropre à la purification

  1. Voir H. A. L. Fisher, dans la Fortnightly Review, décembre 1894, p. 815.