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vons ni leurs rhythmes, ni leur harmonie. Or tous les indianistes sont d’accord sur les progrès grammaticaux du sanscrit, sur la perfection graduée de sa forme ; et ils traitent volontiers d’inculte l’idiome rude et primitif des Aryas védiques. Quels ne sont donc pas la puissance et l’éclat naturels de ce langage rudimentaire pour rayonner encore à ce point, pour nous émouvoir par sa franchise, sa noblesse, sa vigueur ! Qu’on ne reproche pas à ces hymnes primitifs leur monotonie, elle n’atteste que leur candeur, et n’est produite que par l’uniformité de l’adoration. Qu’on n’accuse pas de subtilité les nuances d’expression des prières védiques, où des poètes primordiaux s’ingénient de toutes façons à symboliser leur reconnaissance. Qu’on n’exige pas de ces chants lyriques et isolés cet ensemble merveilleux qui surprend et entraîne dans les épopées helléniques. Qu’on ne leur demande pas cette composition savante des idées qui sait les pondérer avec choix, les opposer avec art, les classer au profit de l’effet, les énumérer au profit de l’émotion. Tous ces perfectionnements de l’esprit, toute cette œuvre de la critique sur soi-même, toute cette rhétorique habile et chatoyante, fruit des siècles autant que du génie, les Richis les ignoraient, et cependant leur œuvre nous attire et nous charme ; tant la vérité s’y manifeste avec une netteté saisissante et une incontestable splendeur.

Et maintenant résumons-nous. S’il est possible de pressentir, il n’est pas possible de déterminer d’une manière certaine l’époque où les grandes et simples idées du Véda se modifièrent en s’oblitérant ; où ce naturalisme sincère et curieux, qui n’avait pour lien que le sentiment unique des cœurs, devint une doctrine, et vit les variétés de son inspiration s’assujettir aux règles d’un système, et former un ensemble, une religion comme le mot l’indique lui-même. N’est-ce pas à la longue que ce phénomène dut se produire ? N’est-ce pas peu à peu, interprétation sur interprétation, concession sur concession, que le Brahmanisme, dut parvenir à l’absorption des croyances antérieures et à l’organisation puissante d’une théologie enlaçant toutes les consciences, convainquant toutes les raisons, brisant les obstacles et imposant ses lois ? Il y a là un travail que la science n’a pas fait, et qui nous expliquerait peut-être mieux les transformations successives de l’idée religieuse.

L’Açwaméda (le sacrifice du cheval) fut probablement le premier pas vers une religion commune et un sacerdoce reconnu, parce que ce fut le premier culte national. Jusqu’alors le père de famille avait suffi au sacrifice des premiers jours ; plus tard la tribu s’étant régularisée en s’augmentant, les défenseurs ayant pris leur place en face du péril et leur rôle dominateur au sein de la foule, les poètes étant prêtres, il fallut sept officiants ordinaires, qu’on choisissait parmi les individus principalement voués au sacerdoce. Dès lors le sacrifice change de nature ; de la famille il passe à un groupe plus nombreux, à celui de la tribu qui peut seule se priver d’un serviteur si nécessaire que le cheval, qui peut seule offrir un holocauste si précieux, chez qui peuvent seuls se rencontrer des sacrificateurs spéciaux et experts. Dès lors les castes nais-