s’établissait, et le respect des ancêtres se consolidait par cette tradition même, et l’on évoquait autour du gazon sacré les mânes de ces ancêtres inspirés, et l’alliance se perpétuait entre le passé et le présent, en engageant l’avenir et en fondant peu à peu le culte, les rites et la foi. Autant de familles, autant de sacrifices ; autant de poëtes patriarches, autant de cantiques. De là ce millier d’hymnes, dans le Rig-Véda dont encore nous avons perdu un grand nombre ; car, lorsque la famille s’éteignait, sa prière particulière n’étant plus répétée, n’étant plus transmise par la piété filiale, s’effaçait de la mémoire des indifférents qui se contentaient de répéter et de transmettre la prière de leur propre chef. Puis, d’un autre côté, dans les branches nombreuses, multipliées par les mariages qui créaient de nouvelles familles, de nouveaux poëtes se manifestaient, chantant à leur manière les merveilles de la vie et les mystères de la mort. Le concert du Véda variait dès lors d’accents et d’expression : des idées neuves surgissaient, des interprétations différentes des phénomènes de la nature et de l’intervention céleste, ajoutaient de nouveaux dieux au panthéon traditionnel ; l’amour-propre, l’antagonisme, la passion prenaient parfois aussi une place destructive dans le groupe primitif, et peu à peu, fatalement, s’altérait la candeur originelle.
L’antiquité du Rig-Véda est aujourd’hui incontestable. Son caractère religieux l’a fait conserver avec une sorte de piété ardente et jalouse, et l’on pourrait jusqu’à un certain point reconnaître au style même des invocations, et à la nature des êtres surhumains qu’on y adore, l’époque d’une grande partie de ses hymnes. D’abord la conception d’une force divine y est simple, et la prière naïve. L’Arya est en marche ; il implore en sa faveur les forces de la nature, il lève les obstacles qu’il rencontre par une invocation : ici à une rivière pour qu’elle modère son courant, là à une montagne pour qu’elle abaisse ses pentes, plus loin aux eaux du ciel pour qu’elles assainissent par leur abondance les miasmes d’un marais ; plus habituellement à Indra pour qu’il accorde un nouveau triomphe à ses protégés. Plus tard, l’Arya vainqueur s’établit sur la terre conquise, il la cultive avec la charrue, il rentre sa récolte sur des chars, bat ses blés, crible son orge, cultive ses rizières ; et son ordre social plus avancé se reflète déjà dans ses dieux. Il compare Agni, le feu, à un coursier, qui, attelé à son char, secoue sa crinière ; Ousha, l’aurore, à une déesse montée sur un brillant véhicule ; les vents du matin, les Marouts, fils de Vayou ou de Roudra, sont aussi sur des chars, armés en guerre avec le glaive et le carquois, décochant des flèches contre les nuages, et buvant le soma avant leur journée de travail. Plus tard il se mêle à la figure vague, mais encore noble de l’image providentielle, des traits exagérés ou bizarres : Sourya, le soleil, a des bras d’or, des mains d’or, et même une langue d’or ; les Marouts, ont des attelages de daims, des cuirasses et des lances. C’est que l’industrie vient d’apparaître chez l’Arya indien : il peigne le chanvre, tisse la laine, perfore des puits, utilise tous les animaux domestiques, travaille les métaux et sait en apprécier l’usage et la valeur. Plus tard encore, la pensée