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mais, en réalité, ils ont leur patrie au ciel. » Effectivement, quand on demande au martyr sa patrie : « Je suis chrétien », répond-il. La patrie et les lois civiles, voilà la mère, voilà le père que le vrai gnostique, selon Clément d’Alexandrie, doit mépriser pour s’asseoir à la droite de Dieu. Le chrétien est embarrassé, incapable, quand il s’agit des affaires du monde ; l’Évangile forme des fidèles, non des citoyens. Il en fut de même pour l’islamisme et le bouddhisme. L’avènement de ces grandes religions universelles mit fin à la vieille idée de patrie ; on ne fut plus Romain, Athénien : on fut chrétien, musulman, bouddhiste. Les hommes désormais vont être rangés d’après leur culte, non d’après leur patrie ; ils se diviseront sur des hérésies, non sur des questions de nationalité.

Voilà ce que vit parfaitement Marc-Aurèle, et ce qui le rendit si peu favorable au christianisme. L’Église lui parut un État dans l’État. « Le camp de la piété », ce nouveau « système de piété fondé sur le Logos divin », n’a rien à voir avec le camp romain, lequel ne prétend nullement former des sujets pour le ciel. L’Église, en effet, s’avoue une société complète, bien supérieure à la société civile ; le pasteur vaut mieux que le magistrat…. Le chrétien ne doit rien à l’empire, et l’empire lui doit tout, car c’est la présence des fidèles, disséminés dans le monde romain, qui arrête le courroux céleste et sauve l’État de sa ruine. Le chrétien ne se réjouit pas des victoires de l’empire ; les désastres publics lui paraissent une confirmation des prophéties qui condamnent le monde à périr par les Barbares et par le feu….

[Cependant] des raisons anciennes et profondes voulaient, nonobstant les apparences contraires, que l’empire se fît chrétien. La doctrine chrétienne sur l’origine du pouvoir semblait faite exprès pour devenir la doctrine de l’État romain. L’autorité aime l’autorité. Des hommes aussi conservateurs que les évêques devaient avoir une terrible tentation de se réconcilier avec la force publique. Jésus avait tracé la règle. L’effigie de la monnaie était pour lui le critérium suprême de la légitimité, au delà duquel il n’y avait rien à chercher. En plein règne de Néron, saint Paul écrivait : « Que chacun soit soumis aux puissances régnantes, car il n’y a pas de puissance qui ne vienne de Dieu.