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espèce de « bureau européen », où, au milieu de notaires, de scribes et d’employés de toute sorte, on ne s’occupait que de procès et d’affaires, — en d’autres termes, cessant d’être une véritable Église pour n’être plus que la cour de Rome ou la Curie romaine.

Cette situation, signalée avec amertume par les contemporains, et dont on saisit les traces dans la correspondance d’Innocent III, a été, plus d’une fois, constatée par les historiens. Toutefois on aurait tort de faire peser sur la seule époque d’Innocent III la responsabilité d’une telle situation. Née du pouvoir excessif de la papauté, cette situation avait commencé avant lui ; elle s’aggrava sous ses successeurs. La lecture attentive des documents permet de suivre, à leur véritable date, les progrès d’un état de choses dont on n’a pas suffisamment marqué la succession. Ainsi, à ne parler que du changement de l’Église romaine en curie, changement considéré par les hommes pieux du temps comme funeste pour la religion, on peut en placer l’origine vers le milieu du XIIe siècle[1], un peu avant le moment où le collège des cardinaux se vit chargé, à l’exclusion du clergé et des fidèles[2], de pourvoir à l’élection des papes. Ce qu’on peut dire en somme, c’est que le pontificat d’Innocent III, qui marque, pour la papauté, l’apogée du pouvoir absolu, marque aussi, pour l’Église, le commencement d’une décadence qui, un siècle après, arrivera au dernier degré sous les papes d’Avignon.

Ainsi fut viciée, dans ses effets, l’œuvre de Grégoire VII. Il s’était servi de la puissance du Saint-Siège pour réprimer les désordres de l’Église, et cette puissance, étendue inconsidérément par ses successeurs, avait produit d’autres désordres. En même temps que l’Église s’altérait, la papauté, à son insu et par les mêmes causes, se trouva transformée. Elle se vit amenée à déserter

  1. « Nunc dicitur Curia Romana quæ antehac dicebatur Ecclesia Romana. Si revolvantur antiqua Romanorum pontificum scripta, nusquam in eis reperitur hoc nomen, quod est Curia, in designatione sacrosanctæ Romanæ Ecclesiæ…. » (Gerohi liber De corrupto statu Ecclesiæ ad Eugenium III papam.)
  2. Le pape Alexandre III, élu en 1160, paraît être le dernier qui, dans sa lettre encyclique, ait dit : « Fratres nos, assentiente clero ac populo, elegerunt. »