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HARIVANSA.

chargé Pradyoumna[1] de rendre à Nârada les honneurs qui lui étaient dus, il pénétra dans l’appartement. De loin il la contemplait, confinée dans le cabinet de colère, et entourée de ses suivantes : tantôt elle soupire avec douleur ; tantôt elle presse contre son visage les restes du lotus qu’elle a froissé entre ses doigts, ou du bout de son pied légèrement courbé elle bat la terre. Tantôt elle rejette sa tête en arrière, et sourit avec effort ; tantôt reposant son front sur sa main, elle penche en avant son beau corps, et semble méditer. Puis elle prend des mains de ses suivantes la pâte de sandal, ou bien elle trouve un cruel plaisir à se frapper la poitrine : enfin elle se lève brusquement, et se promène à grands pas.

Crichna, la tête cachée derrière un coussin, considérait tous les détails de cette scène et la physionomie des autres femmes qui entouraient sa bien aimée. Enfin, jugeant le moment favorable, il fait signe aux suivantes de ne rien dire, et, confondu dans leur foule tremblante, il s’approche avec précipitation : sa main saisit un éventail, qu’il agite doucement et en riant. L’air, que forment les légères ondulations de l’éventail, est tout imprégné d’une odeur surnaturelle et divine : c’est le parfum du Pâridjâta. Satyabhâmâ en est surprise : elle tourne la tête, et s’écrie ; elle se lève, sans voir le dieu qui lui tourne le dos ; elle demande à ses femmes d’où vient ce parfum merveilleux. Celles-ci, sans répondre à sa question, tombent à genoux, la tête baissée et dans l’attitude du respect. « Je ne reconnais pas « ce parfum, disait Satyabhâmâ : il ne vient pas de la terre, qui ne saurait « en produire de pareil. Qui peut nous l’envoyer ? » et elle regardait de tout côté. Elle aperçoit alors le maître du monde, le divin Késava : dans sa surprise elle pousse un cri, et, les yeux baignés de mille larmes, malgré sa colère, elle le salue avec respect. Ses lèvres sont tremblantes, son front est baissé, sa respiration gênée : son visage, dont la beauté est relevée par la poudre noire qui teint le coin de ses yeux[2], se décompose en un instant : son sourcil se fronce, son regard est effaré ; elle couvre son front de sa main, et dit à Crichna : « Vous voilà bien heureux ! » Et en même temps la honte et la colère arrachaient à ses yeux des larmes qui ressemblaient à

  1. C’est le fils de Crichna et de Roukmini.
  2. Cette idée est contenue dans l’épithète असितापाङ्गी asitâpângî. L’usage des femmes indiennes est de teindre le coin extérieur de leurs yeux et leurs cils avec un cosmétique noir et liquide, nommé anijana.