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d’une cavale, cette épouse fugitive et excusable se rendit dans les régions septentrionales, où tranquillement elle errait sur le gazon.

Cependant Vivaswân, trompé par l’apparence de l’autre Sandjnâ, eut d’elle un fils qui fut tout le portrait de son père, et qui ressemblait au Manou Vêvaswata son aîné. Or, ce fils fut le Manou que l’on a nommé Sâvarna. Tchhâyâ donna encore le jour à celui qui porta le nom de Sanêstchara. C’étaient là les propres enfants de la terrestre[1] Sandjnâ : aussi leur témoignait-elle une grande tendresse, et elle semblait négliger les aînés. Le Manou Vêvaswata supportait cette préférence avec tranquillité : il n’en était pas de même d’Yama. Un jour, dans sa colère, sans trop savoir ce qu’il faisait, celui-ci menaça Tchhâyâ d’un coup de pied. La mère de Sâvarna, irritée, maudit Yama : « Que ton pied se « détache et tombe ! » s’écria-t-elle avec emportement. Yama se présenta avec respect devant son père, et lui raconta tout ce qui s’était passé. Les paroles de la fausse Sandjnâ le tourmentaient, et il craignait l’effet de son imprécation. « Détournez de moi sa malédiction, disait-il à Vivaswân. Une mère doit traiter tous ses enfants avec une égale tendresse ; et elle, elle nous repousse et n’aime que nos jeunes frères. Oui, j’ai levé le pied contre elle ; mais je ne l’ai pas touchée[2]. J’ai été inconsidéré, insensé ; daignez me pardonner, ô Seigneur, puissant maître du monde ! Ma mère m’a maudit ; mais empéchez, par votre protection, que je ne perde le pied. » « Mon enfant, lui répondit Vivaswân, ce sera sans doute une chose difficile. Tu connaissais les règles du devoir, tu savais en quoi consistait le bien ; et cependant tu t’es livré à l’emportement. Il n’est pas possible d’échapper à la malédiction de ta mère. Pour qu’elle soit accomplie, je veux au moins que des vers, formés dans ta jambe par ma chaleur, s’en détachent et tombent à terre. Ainsi sa parole sera éludée, et ton pied sera sauvé. »

Cependant Vivaswân dit à celle qu’il croyait Sandjnâ : « Entre des enfants qui se ressemblent, quel est le motif de votre préférence ? » Tchhâyâ s’abstint de répondre à Vivaswân. Alors le dieu, se recueillant en lui-même, par

  1. J’ai traduit littéralement पार्थिवी. Je ne veux faire perdre à mon lecteur aucun de ces petits détails, qui peuvent mener à quelque éclaircissement. Dans d’autres livres, on appelle encore cette femme निःक्षुभा (Nihkchoubhâ), immobile.
  2. Je me figure dans une sphère céleste un personnage, la jambe levée, à quelque distance d’un autre ; et le ridicule de ce conte s’évanouit. Cette jambe, qui est sur le point de tomber, ne désignerait-elle pas une étoile particulière, descendant vers l’horizon ?