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LIVRE PREMIER.

Généalogie de la Grande-Arménie[1]

CHAPITRE Ier

Moïse de Khorène, — au commencement de notre discours, — à Sahak Bagratouni, salut ! [2]

L’éternelle protection de la grâce divine [qui s’étend] sur toi, l’influence continuelle de l’Esprit-Saint [qui rejaillit] sur ton intelligence, me sont révélées par ta noble demande ; ainsi donc, j’ai connu d’abord ton esprit avant de connaître ta personne. Cette demande est si conforme à mes goûts et à mes études, qu’à cause de cela il me convient, non seulement de te louer, mais encore de prier pour que tu restes toujours le même.

Car, si par la raison, ainsi qu’il est écrit, nous sommes l’image de Dieu, si d’ailleurs le bon sens et la prudence sont la prérogative de l’homme doué de raison, et si ton esprit n’eût été dirigé vers ces résultats, toi, en méditant profondément, et en conservant l’éclat de cette étincelle, tu ornes ta raison, et tu marches pour atteindre cette image, — tu réjouis, on peut le dire, ton modèle, le prototype de la raison, par ton noble empressement [à satisfaire] de tels désirs, sans dépasser le but.

En outre, je vois que si ceux qui, avant nous ou de nos jours, ont été les maîtres et les princes du pays d’Arménie[3], n’ont pas ordonné aux savants qui se trouvaient près d’eux de composer notre histoire, s’ils n’ont pas voulu appeler, du dehors des gens instruits ; nous qui découvrons actuellement en toi ce mérite, il est évident qu’il faut déclarer que tu es bien supérieur à tes prédécesseurs, que tu as droit aux plus grands éloges, et que tu es digne d’être célébré dans cet ouvrage.

Aussi, en accueillant avec plaisir ta demande, je suis désireux de la satisfaire, en vue d’immortaliser et ta mémoire et celle de tes descendants ; car ta race est fort ancienne et très renommée ; elle est féconde, non seulement en conseils prudents et efficaces, mais encore en actions nombreuses et glorieuses, et bien dignes d’être vantées[4]. Ces faits, nous les consignerons par ordre dans cette histoire, lorsque nous décrirons en détail les races et que nous établirons les généalogies de père en fils. En ce qui concerne la question des satrapies de l’Arménie, nous traiterons brièvement de leur origine et de leur existence, ainsi que cela est fidèlement constaté dans quelques histoires grecques.

CHAPITRE II.

Pourquoi avons-nous tiré [les renseignements relatifs à] nos affaires, des [livres] grecs, tandis qu’ils sont plus étendu[5], dans [ceux] des Chaldéens et des Assyriens ?’’

Qu’on ne s’étonne point, lorsqu’il y a des écrivains de plusieurs nations, notamment des Perses et des Chaldéens, dans les ouvrages desquels il se trouve assez fréquemment des faits relatifs à notre patrie, que nous n’avons cité seulement que les historiens grecs, en promettant d’en extraire [le tableau de] notre généalogie. C’est qu’en effet, les rois grecs, après avoir réglé leurs affaires intérieures, s’efforcèrent avec tout le zèle possible de transmettre aux Grecs non seulement ce qui concernait leurs conquêtes, mais encore les fruits des travaux de l’esprit ; comme fit ce Ptolémée Philadelphe qui voulut qu’on traduisit en grec les livres et les histoires de toutes les nations[6].

Mais qu’on ne vienne pas nous taxer d’ignorance et nous traiter comme des gens de peu de sens et de savoir, parce que, de Ptolémée roi des Égyptiens, nous avons fait un roi des Grecs, car ce prince, après avoir réduit les Grecs sous son autorité, fut nommé roi d’Alexandrie et des Grecs, titre qu’aucun autre Ptolémée, ni qu’aucun

  1. Le texte porte « des grands Arméniens »
  2. Cette rubrique présente quelque difficulté, et le sens en est assez obscur ; on pourrait aussi traduire : « Moïse de Khorène parle de l’origine de notre [nation] en ces termes, à Sahag Bagralide, et le salue. »
  3. L’adjectif harousd que nous avons traduit par « maitre » avec le sens de « roi ou dynaste » signifie à proprement parler « fort, riche, opulent ». Le mot ischkhan qui veut dire prince, s’entend ici des satrapes qui étaient souverains dans leurs domaines et ne relevaient que du pouvoir royal. — Cf. Indjidji, Antiq. de l’Arm. (en arm.), t. II, p. 78, 79.
  4. Cf. sur la famille des Bagratides qui s’établit en Arménie sous le règne de Valarsace, le premier des Arsacides arméniens, et qui plus tard donna des rois à ce pays et à la Géorgie, les savantes recherches du P. Indjidji (Antiq. de l’Arm., t. I, p. 313, et surtout, t. II, p. 96 et suiv.), qui a rassemblé tous les documents tirés des historiens arméniens, et qui ont trait à cette famille illustre, à son histoire, à ses domaines, etc. — Cf. aussi Collection des hist. arm., t. I, p. 33, note 2, col. 2.
  5. Trois manusc. : « plus ornées. »
  6. Cf. Aristée, Hist. de la version des Septante, dans la Biblioth. des Pères (Oxford, 1662. — Saint Épiphane, Traité des poids et mesures (éd. Petau, Paris, 1622), t. II, § 12, p. 168 et suiv. — Collect. des hist. de l’Arménie, t. I, p. 405 et suiv.