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anecdotes pathétiques et plaisantes

Aïssaouah est sacrée ; aucun coiffeur humain n’y saurait toucher… Et, cependant, Mohamed la sacrifia pendant la guerre, cette houppe de cheveux, car il ne voulait pas s’exposer à être enlevé par le « vieux bon Dieu » des Boches.

Si je tombe, pensait-il, le prophète trouvera bien le moyen de m’attirer à lui autrement.

Mohamed tomba dans une tranchée conquise. Mais il ne mourut pas. On l’amputa d’une jambe. Il voulut subir l’opération sans être endormi, et ne laissa pas échapper une plainte : un Aïssaouah sait souffrir.

J’ai vu Mohamed dans son lit d’hôpital. Le zouave qui voulait bien me servir d’interprète m’expliqua que Mohamed s’inquiétait fort peu à la pensée de rentrer à Kairouan sur une seule jambe et songeait déjà, avec envie, aux supplices volontaires de la petite mosquée toute blanche entourée de cactus.

Mohamed riait en effet.

— Il dit, traduisit le zouave, qu’Allah pourra l’emporter plus facilement et plus haut dans le paradis, et que c’est un bienfait d’Allah d’avoir allégé son corps…

Attendez, il veut vous montrer quelque chose.

Mohamed cherchait sous son oreiller. Il en tira un mouchoir noué qu’il dénoua et déplia avec précaution, et il me montra, couverte de rouille, une lame de couteau brisée.

— Couteau bouche, fit-il.

— Couteau boche, ajouta le zouave. Cette lame a été retirée de la cuisse de Mohamed.

Mohamed riait toujours, et d’un geste de ses mains crispées, il m’indiquait qu’il avait tordu le cou du Boche.


Le Sénégalais dans la neige.

En pleine Argonne, dans une partie du bois de la Grurie où l’on se dispute pied à pied le terrain. Les premiers jours de décembre ont amené de la neige et à