Un jeune officier était arrivé de Moscou sur le front et, parmi ses bagages, n’avait pu retrouver sa jumelle. C’était une position embarrassante : en campagne, une jumelle est aussi indispensable à un officier qu’une hache à un charpentier.
Cet officier rencontre un soldat qui était envoyé à la division pour une commission quelconque et lui demande de lui trouver une jumelle.
— Mais, mon officier, vous n’avez qu’à commander, je vous en apporterai une.
— Y en aurait-il de réserve à la division ?
— Non, mon officier, mais on en trouve chez les Autrichiens ; ils en ont beaucoup ; qu’est-ce que vous voulez ? Une jumelle d’officier ou de sous-officier ?… D’officier !… Demain matin vous serez satisfait.
Effectivement, le lendemain matin, l’officier, à son grand étonnement, voit venir le soldat avec une superbe jumelle prismatique, une de celles dont sont pourvus tous les officiers autrichiens.
— Comment et où as-tu trouvé cela ?
— Avec un camarade, nous savions en quel endroit de la tranchée se trouvait la logette du capitaine… Nous y sommes allés en rampant… Il s’est réveillé, entendant marcher prés de lui ; je lui dis en le mettant en joue : « Mon capitaine, il me faut votre jumelle !… » Fâché, il voulait crier. Je pensai : cela va mal tourner… Mais mon camarade m’a aidé et voilà la jumelle.
L’officier n’en revenait pas ; il récompensa largement le malin troupier. Celui-ci, se voyant en possession d’un billet pour une chose qu’il jugeait de si peu d’importance, proposa :
— Ne vous faudrait-il pas un bon cheval ?
— Merci, répond l’officier ; puis, en riant, il ajoute : Si tu veux, eh bien ! apporte-moi un général !