CHAPITRE VI
ANECDOTES RUSSES
Un champion russe d’échecs, M. Schaskolski, s’était engagé au début de la guerre. Récemment il a été placé dans une tranchée où se trouvait le lieutenant d’artillerie M…, grand amateur du jeu d’échecs. Les deux joueurs improvisèrent un échiquier avec les figures nécessaires, et, dans l’intervalle des combats, firent la partie avec entrain, partie souvent interrompue par une canonnade ou par une contre-attaque. À chaque interruption, les partenaires inscrivaient dans un carnet leurs positions respectives : « Nous continuerons après l’affaire. »
L’autre jour, au moment où le lieutenant M… lançait un « échec au roi », un projectile lui enleva deux doigts. « Pièce touchée », s’écria l’officier, et il refusa de se faire panser avant d’avoir fini sa partie ; la plaie s’envenima et on dut le transporter à l’ambulance.
La malchance n’a pas épargné non plus M. Schaskolski : toutes les fois qu’il avançait vers une tranchée ennemie, il le faisait en exécutant la marche du cavalier de l’échiquier, un premier pas en sens oblique et un second en avant. « C’est ma tactique, disait-il, pour éviter les balles de l’ennemi. » Malheureusement, c’était le moyen aussi de se heurter à un obus, qui l’a tué net. La partie d’échecs est finie.