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anecdotes françaises

le hameau. Une femme en descend. Elle pénètre dans la ferme où nous sommes et s’approche du poêle. Elle ouvre son manteau… Radieuse apparition ! Elle a dans les bras un tendre enfant rose qui sourit. Et, sans gêne, se détournant à peine, elle offre son sein à ses petites mains goulues.

Cette maman a à peine vingt ans. Elle est belle d’une beauté saine et inconsciente. Ses yeux bleus reflètent un lac de pureté. Son enfant est son expression ; véritable enfant de l’amour rayonnant d’une chaleur de tendresse heureuse.

Le soldat qui m’accompagnait m’a conté son histoire :

— On n’imagine pas, Monsieur, ce qu’il peut y avoir d’énergie dans un petit bout de femme comme celle-là. Elle est venue du fond de la Bretagne pour mettre dans les bras de son époux cet enfant qui était né après son départ. Elle s’était juré qu’il le verrait. L’idée qu’il pourrait mourir sans l’avoir vu, a-t-elle expliqué plus tard, lui tenait comme un clou dans la chair. Un beau matin, elle est partie. Elle est passée à travers tous les obstacles ; elle a attendri tous les gardiens ; elle est arrivée jusqu’aux tranchées.

Un soir, nous finissions de curer les plats, et nous apprêtions la paille au fond d’une remise, à l’arrière, pour le coucher, lorsqu’un camarade poussa ce cri : « Ma Louise ! » C’était elle. Elle lui mit sans mot dire l’enfant tout blanc sur les bras, et lui n’osait pas l’embrasser. Ah ! Monsieur, nous avons vu des scènes émouvantes à la guerre. Mais celle-là… Il y en avait qui pleuraient. Lui, le papa, était pâle et muet comme si une fine balle lui avait traversé le cœur.


Le cordon de soulier.

C’est un soldat blessé qui descend l’avenue. La manche droite de sa tunique, inutile, hélas ! est épinglée à l’épaule. Et il est bien ennuyé. Son cordon de soulier