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anecdotes françaises

difficilement ; il arrive souvent que les hommes doivent se nourrir avec les vivres de réserve : singe et biscuit. Les Boches subissaient le même désagrément. Or, un soir, vers 5 heures — l’heure de la soupe — nous nous mîmes tous à pousser des exclamations dans le genre de celles-ci :

« Ce pâté de lièvre est délicieux ! — Faites huit parts de chaque poulet ! — Allons ! encore un coup de vin blanc ! — Cette conserve de homard, c’est un régal ! — Passe-moi encore un biscuit ! — Je préfère le kirsch au rhum ! »

Inutile de vous dire que nous n’avions aucun des plats annoncés. Nos Boches, nous le savions, n’avaient pas été ravitaillés depuis quatre jours. Vous jugez de l’effet produit par nos paroles sur l’esprit de l’officier allemand. Nous le vîmes bientôt qui passait la tête par dessus la tranchée — une tête aux joues creuses, aux yeux dilatés, aux narines frémissantes. Il nous croyait fort occupés à la bonne digestion de notre repas. Nous attendions ce moment : l’un de nous, aux aguets, le fusil braqué, veillait. Un coup de feu, sec, partit. Un grand cri. La tête de l’officier boche avait disparu. Nous fûmes pour toujours débarrassés de ses monologues vraiment déplacés.


Le bouquet d’anniversaire.

Le lieutenant l’avait dit quelques jours auparavant. Son anniversaire de naissance tombait ce dimanche matin. Et, comme on l’aime bien, à l’aube, le plus éloquent des poilus voulut lui faire un petit compliment gentiment tourné.

Mais le lieutenant l’interrompit : « Ne va pas plus loin, Genilet, merci pour toi et pour tous. Nous ne sommes pas au temps des discours. Vous êtes tous de braves garçons. » Genilet ne dit donc que sa dernière phrase : « Mon lieutenant, il n’y a pas de bouquet, parce qu’on n’a pas de fleurs. Mais le cœur y est. »