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vidu apparat encore tout à fait lié aux principes que gouverne le genre, jusqu’au faîte de la puissance créatrice dans la poésie, l’essence de cet acte est toujours dirigée vers la création de l’unité, de l’harmonie, de la forme parfaite. Le même principe, qui règne en maître absolu sur le terrain du beau, dans l’art et la poésie, apparaît sur le terrain de l’action comme la véritable norme éthique, comme le fondement de tous les principes de la morale et, sur le terrain de la connaissance, comme le facteur déterminant et façonnant de notre conception de l’univers.

Ainsi, encore que la conception de l’univers, que les sens nous donnent, soit involontairement formée d’après l’idéal qui nous est inhérent, le monde entier de la réalité n’en apparaît pas moins, en face des libres créations de l’art, comme in harmonique et plein de contrariétés. Là est l’origine de tout optimisme et de tout pessimisme. Si nous ne comparions pas, nous serions incapables de nous former un jugement sur la qualité du monde ; mais, lorsque d’un point élevé quelconque nous contemplons un paysage, tout notre être est disposé à lui attribuer de la beauté et de la perfection. Il faut qu’au moyen de l’analyse nous commencions par détruire la puissante unité de ce tableau pour nous rappeler que, dans ces chaumières, reposant paisiblement sur le flanc de la montagne, demeurent des hommes malheureux et accablés de soucis ; que, peut-être, derrière cette petite fenêtre masquée, un malade endure les souffrances les plus terribles ; que, sous les cimes de la forêt lointaine, agitées par le vent, des oiseaux de proie déchiquettent leur victime palpitante ; que, dans les ondes argentines de la rivière, mille petits êtres, à peine entrés dans la vie, trouvent une mort cruelle. Pour nous qui jetons un regard d’ensemble, ces branches desséchées, ces champs de blés rongés par la nielle, ces prairies, brûlées par le soleil, ne sont que les teintes d’un paysage qui réjouit nos yeux et élève notre cœur.