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du prochain, non-seulement s’harmonise très-bien, comme nous l’avons déjà montré, avec le matérialisme physique, mais elle est encore empreinte d’un caractère matérialiste, et elle le conserve aussi longtemps que fait défaut l’idéal d’après lequel l’homme s’efforce de régler ses rapports avec ses semblables et en général d’établir l’harmonie dans son monde des phénomènes. Tant que la morale n’insiste que sur la pratique des sentiments de sympathie et qu’elle nous conseille de prendre soin de nos semblables et de travailler pour eux, elle conserve encore une allure essentiellement matérialiste, dût-elle recommander expressément le dévouement au lieu de l’égoïsme ; une évolution formelle n’a lieu que lorsqu’un principe est érigé au centre de tous les efforts. Ainsi en est-il chez Kant, dont l’éthique se rapproche matériellement beaucoup de celle de Comte et de Mill, mais se distingue très-nettement de toute autre théorie sur l’intérêt général, en ce qu’elle tient pour donnée a priori la loi morale avec son exigence sévère et inflexible de l’harmonie du tout, dont nous faisons partie. Quant à la vérité de cette théorie, elle sera probablement la même que celle de la théorie des catégories. La déduction du principe est défectueuse, le principe lui-même est susceptible d’amélioration, mais le germe de cette préoccupation du tout doit bien se trouver dans notre organisation, antérieurement à l’expérience, sans quoi le commencement de l’expérience morale serait inconcevable. Le principe de l’éthique existe a priori, non comme conscience formée et développée, mais comme disposition de notre nature originelle dont nous ne pouvons apprendre à connaître l’essence et le mode d’activité que comme nous apprenons à connaître la nature de notre corps c’est-à-dire peu à peu, a posteriori, et partiellement. Mais cette connaissance n’est pas du tout entravée parce qu’on défend un principe déterminé, qui ne renferme qu’une partie de la vérité. Il faut qu’ici, en théorie du moins, on admette ce qu’on admet dans les recherches physiques, savoir