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lanthrope quelconques, avec le principe de l’esprit de sacrifice, des conseils bienveillants, des lois sages, ne pourraient exercer que bien faiblement une influence semblable à celle qu’a exercée l’élimination progressive des barrières que les institutions féodales du moyen âge opposaient à la libre activité de l’individu. Depuis l’établissement de l’impôt pour les pauvres — lequel fut, il est vrai, créé conformément à un autre principe, — le désir de ne pas laisser cette taxe monter trop haut a fait imaginer plus d’institutions de bienfaisance, plus d’améliorations sérieuses que ne le pourront jamais la compassion ou la reconnaissance réelle d’un devoir supérieur. On peut même conjecturer qu’une cinquième ou sixième grande et sanglante révolution sociale, quoique avec des intervalles séculaires, finira par endiguer, grâce à la peur, la cupidité des riches et des puissants avec plus d’efficacité qu’on ne pourrait le faire en se dévouant de tout cœur aux intérêts généraux et en appliquant le principe de la charité.

Faisons d’abord observer que les grands progrès des temps modernes ne se sont pas effectués par l’égoïsme proprement dit, mais par la liberté accordée aux efforts de l’intérêt privé, en face de l’oppression de l’égoïsme de la majorité par l’égoïsme plus puissant de la minorité. Ce n’était pas la sollicitude paternelle qui prenait jadis la place occupée aujourd’hui par la libre concurrence ; c’était le privilège, l’exploitation, l’opposition entre le maître et l’esclave. Les cas peu nombreux, dans lesquels l’ancien ordre de choses permit à la générosité de souverains magnanimes ou à l’intelligence de patriotes éminents de se manifester, ont laissé de très-beaux résultats. On n’a qu’à se rappeler Colbert, à l’activité fructueuse duquel se rattache, non sans succès, Carey, le partisan des droits protecteurs. Souvenons-nous sans cesse que nous n’avons connu jusqu’ici que l’opposition des intérêts dynastiques dominateurs aux intérêts privés émancipés, mais non la simple opposition du principe de l’égoïsme à celui de l’in-