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neutralise d’après la loi des grands nombres, Quételet fait agir le libre arbitre, c’est-à-dire naturellement, le libre arbitre tel que l’entend la tradition scolaire de France et de Belgique, dans l’intérieur de la vaste sphère des événements soumis la régularité démontrée de la loi. Il existe indubitablement des volontés individuelles qui agissent tantôt de façon à augmenter d’une unité le budget annuel des actes voulus, tantôt à le diminuer d’autant, ce qui n’empêche pas la moyenne d’être finalement plus régulière qu’un budget d’État quelconque. Or si la moyenne des volontés, qui représente aussi d’une manière approximative la grande masse de toutes les impulsions de volontés individuelles, est déterminée physiquement par les influences d’âge, de sexe, de climat, de nourriture, de mode de travail, etc., ne pourrait-on pas de même sur tout autre terrain conclure que le mouvement des volontés individuelles est, lui aussi, réglé physiquement ? Ne supposerait-on pas que ce mouvement soit à la moyenne comme par exemple la quantité de pluie tombée le 1er mai ou tout autre jour du calendrier est à la moyenne de la pluie tombée durant l’année entière ? Et en réalité, abstraction faite du préjugé scolastique, il n’existe pas le moindre motif d’admettre, pour ces fluctuations individuelles parallèles aux nombreuses causes accidentelles et faciles à observer physiquement, une autre cause particulière qui aurait la propriété d’être restreinte à une action fort limitée et serait, malgré cette restriction, indépendante de l’enchaînement général des causes des choses. C’est là une hypothèse tout à fait superflue, gênante sans aucune utilité et dont nul homme sensé, à plus forte raison Quetelet, ne s’aviserait, s’il n’eût été élevé au milieu des préjugés traditionnels d’une scolastique façonnée à la moderne.

Comme, depuis longtemps, on était habitué en Allemagne à l’idée de l’unité de l’esprit et de la nature, on comprendra que nos philosophes aient été moins affectés de la contradiction entre les résultats de la statistique et ceux de la vieille doc-