Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pelle ici involontairement la question si connue : l’homme a-t-il d’abord parlé ou chanté ? Sur ce point, la paléontologie se tait ; mais à sa place se présentent des considérations anatomiques et physiologiques. D’après l’ingénieuse remarque de Jæger, le maniement délicat des mouvements de l’haleine, notamment la régularisation facile et libre de l’expiration, est une condition première de l’emploi du langage ; et cette condition ne peut être complètement remplie que dans la position verticale du corps. Cette remarque s’applique naturellement aussi au chant ; par conséquent, les oiseaux, qui usent librement de leur thorax, sont des chanteurs-nés et apprennent même à parler avec une facilité relative. Darwin est tenté d’accorder la priorité au chant. « Quand nous traiterons de la sélection sexuelle, dit-il, nous verrons que l’homme primitif ou du moins un ancêtre primitif quelconque de l’homme, selon toute vraisemblance, usa largement de sa voix, comme le fait aujourd’hui un singe de l’espèce gibbon, pour produire des intonations réellement musicales, en d’autres termes pour chanter. D’après de nombreuses analogies, nous pouvons conclure que cette faculté aura été exercée, pendant l’époque où les deux sexes se recherchent, pour exprimer divers mouvements de l’âme, tels que l’amour, la jalousie, le triomphe, et en même temps pour défier les rivaux. L’imitation de cris musicaux à l’aide de sons articulés a pu donner naissance à des mots qui exprimaient différentes émotions complexes » (16).

Il est très-vraisemblable que l’imitation des cris des animaux a joué un rôle, comme le pense Darwin, dans la formation du langage humain, attendu qu’un son, provoqué par le simple désir d’imiter, devait très-facilement acquérir une signification. Le corbeau, par exemple, qui, par sa propre invention, imite les aboiements du chien et les caquets des poules, joint certainement à ces sons l’idée de l’espèce distincte de chacun de ces animaux, car il sait duquel des deux chaque son émane. Il a, par conséquent,