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de réel, rien de donne, si ce n’est ce restant, de sensations effacées au moyen desquelles nous parvenons à former leur image. La pensée qu’à cette image correspond quelque chose d’extérieur, d’entièrement indépendant de notre « sujet », peut être très-naturelle ; mais elle n’est ni absolument nécessaire ni irrésistible ; sans quoi il n’y aurait jamais eu des idéalistes de la trempe de Berkeley.

Si donc il faut opter entre la sensation et le mouvement des atomes, s’il faut déclarer réalité l’une de ces choses et qualifier l’autre de simple apparence, on aurait de meilleures raisons pour déclarer réalités la sensation et la conscience, tandis que les atomes et leurs mouvements passeraient pour de simples apparences. De ce que nous fondons notre science de la nature sur ces apparences, cela ne fait rien à l’affaire. Dans ce cas, la connaissance de la nature serait uniquement un analogue de la connaissance réelle ; ce serait un moyen de nous orienter, comme une carte géographique, qui nous rend de très-grands services, quoiqu’elle soit loin d’être le pays même que nous visitons en pensée.

Mais une pareille distinction n’est ni nécessaire ni utile. Sensation et mouvement des atomes sont pour nous également « réels » en tant que phénomènes ; la première, toutefois, est un phénomène immédiat ; le mouvement des atomes n’est qu’un phénomène médiat, pensé. L’étroite connexion qu’établit entre nos représentations l’hypothèse de la matière et de son mouvement vaut à la matière l’épithète d’ « objective » ; car c’est grâce à elle seulement que la diversité des objets devient un seul « objet », grand, compréhensif, que nous opposons comme le « fond » permanent de notre pensée, au contenu changeant de notre moi. Or toute cette réalité est une réalité empirique, très-conciliable avec l’idéalité transcendantale.

Au point de vue de la philosophie critique, fondée sur la théorie de la connaissance, disparaît réellement toute nécessité de renverser les « barrières de la connaissance de la