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défendre contre les autres États l’intérêt exclusif de leur pays. En regard de ce patriotisme étroit, la philosophie des sophistes et celle de l’école cyrénaïque ont une teinte cosmopolite.

À l’aide d’un petit nombre de raisonnements, le penseur embrasse d’un seul coup d’œil un ensemble de vérités dont l’application dans l’histoire universelle exige des milliers d’années. L’idée cosmopolite peut donc être vraie en général, et pernicieuse en particulier, parce qu’elle paralyse l’intérêt que les citoyens prennent à l’État, partant, la vitalité de l’État.

Le maintien des traditions est une barrière à l’ambition et au talent des individus ; c’est la supprimer que de faire de l’homme la mesure de toutes choses. Il n’y a que la tradition qui puisse protéger cette barrière ; mais la tradition, c’est l’absurde, parce que la réflexion pousse sans cesse vers l’innovation. Voilà ce que comprirent bientôt les Athéniens, et non seulement les philosophes, mais encore leurs adversaires les plus ardents apprirent à raisonner, à critiquer, à discuter et à faire des théories. Les sophistes créèrent aussi l’art démagogique, en enseignant l’éloquence dans le but unique de diriger la multitude selon l’esprit et l’intérêt de l’orateur.

Comme les assertions contradictoires sont également vraies, maints sectateurs de Protagoras s’attachèrent à mettre en évidence le droit de l’individu, et ils introduisirent une espèce de droit moral du plus fort. En tout cas, les sophistes possédaient une remarquable habileté dans l’art d’agir sur les esprits et une profonde sagacité psychologique ; sans quoi on ne leur aurait pas accordé des rémunérations qui, comparées aux honoraires de nos jours, sont tout au moins dans le rapport du capital à l’intérêt. D’ailleurs, on songeait moins à les payer de leur peine qu’à posséder à tout prix un art qui faisait un homme.

Aristippe, qui vivait au IVe siècle, était déjà un vrai cosmopolite. La cour des tyrans était son séjour favori, et plus