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séquences fatales du point de vue adopté par Protagoras ; il est vrai que ce n’est pas lui qui déduisit ces conséquences. Il déclarait que le plaisir était le mobile des actions, mais il traçait une ligne de démarcation entre les bons citoyens, les hommes généreux qui ne trouvent leur plaisir que dans le bien et la vertu, et les hommes méchants, vulgaires, qui se sentent entraînés au mal (36). Toutefois, de la conception théorique du monde, qui découle de ce relativisme absolu, on devait conclure que le bien et le juste, pour l’homme, sont ce qui chaque fois lui paraît juste et bon.

Comme hommes pratiques, même comme professeurs de vertu, les sophistes se tiraient d’affaire en s’appropriant en bloc la morale hellénique transmise par la tradition. Il ne pouvait être question de déduire cette morale d’un principe, et même le système d’après lequel il fallait favoriser les idées utiles à l’État, ne fut pas élevé à la hauteur d’un précepte de morale, bien qu’il s’en rapproche considérablement.

On comprend de la sorte que les déductions morales les plus graves furent tirées du principe que le caprice de l’individu est l’unique loi, non-seulement par des adversaires fanatiques tels que Platon, mais aussi quelquefois par des élèves téméraires des sophistes. L’art célèbre de faire paraître bonne une cause qui est mauvaise, trouve un apologiste dans Lewes (37), qui voit dans cet art une dialectique à l’usage des gens pratiques : « l’art d’être son propre avocat » ; mais le revers de la médaille est évident. L’apologie réussit à montrer les sophistes comme des hommes honnêtes et irréprochables, sur le terrain de la morale vulgaire des Hellènes ; elle ne suffit pas pour réfuter le reproche d’après lequel la sophistique constitua, dans la civilisation hellénique, un élément dissolvant.

En réfléchissant à l’assertion que le plaisir est le mobile des actions, nous comprendrons aisément que le sensualisme de Protagoras est le germe de la théorie du plaisir, adoptée