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que quelque chose existe, a toujours besoin d’être précisée par cette autre : par rapport à quoi cette chose existe-t-elle ou devient-elle ? Autrement c’est comme si l’on n’avait rien dit (34). Ainsi, Büchner, pour combattre la chose en soi, affirme que « les choses n’existent que les unes par rapport aux autres et que, sans relations mutuelles, elles n’ont aucun sens » (35). Moleschott dit d’une manière encore plus nette : « sans une relation avec l’œil, dans lequel il envoie ses rayons, l’arbre n’existe pas. »

De pareilles affirmations passent encore aujourd’hui pour du matérialisme ; mais, selon Démocrite, l’atome était un être en soi. Protagoras abandonna l’atomistique. Pour lui, la matière est quelque chose d’essentiellement indéterminé, soumis à une fluctuation et à des vicissitudes éternelles. Elle est ce qu’elle paraît à chacun.

La philosophie de Protagoras est surtout caractérisée par ces thèses fondamentales de son sensualisme :

1° L’homme est la mesure de toutes choses, de celles qui sont, en tant qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, en tant qu’elles ne sont pas.

2° Les assertions diamétralement opposées sont également vraies.

De ces thèses, la seconde est la plus remarquable et en même temps celle qui rappelle, avec la plus grande netteté, l’impudent charlatanisme, que l’on regarde trop fréquemment comme constituant toute la sophistique ancienne. Elle acquiert cependant un sens plus profond, pour peu qu’on l’élucide à l’aide de la première thèse, qui résume les doctrines de Protagoras.

L’homme est la mesure des choses, c’est-à-dire : la manière dont les choses nous apparaissent dépend de nos sensations ; et cette apparence est notre seule donnée. Ainsi, non seulement l’homme considéré dans ses qualités générales et nécessaires, mais encore chaque individu, à chaque instant donné, est la mesure des choses. S’il s’agissait ici des qua-