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il se posa comme marchand de sagesse ; c’était Protagoras, le premier des sophistes (31).

Hippias, Prodicus, Gorgias et une longue liste d’hommes moins célèbres, connus principalement par les écrits de Platon, parcoururent bientôt les villes de la Grèce, enseignant et discutant. Quelques-uns d’entre eux acquirent de grandes richesses. Partout ils attiraient à eux les jeunes gens les plus distingués par le talent. Leur enseignement fut bientôt à la mode ; leurs doctrines et leurs discours devinrent l’objet des conversations quotidiennes dans les classes élevées de la société ; leur célébrité se répandit avec une incroyable promptitude.

C’était une nouveauté en Grèce : les anciens combattants de Marathon, les vétérans des guerres de la délivrance, hochaient la tête avec une répugnance conservatrice ; les partisans eux-mêmes des sophistes les admiraient à peu près comme on admire aujourd’hui un chanteur célèbre ; mais presque tous, malgré leur admiration, auraient rougi de se faire sophistes. Socrate avait l’habitude d’embarrasser les élèves des sophistes en se bornant à leur demander quelle était la profession de leurs maîtres : de Phidias on apprenait la sculpture, d’Hippocrate la médecine, mais quoi de Protagoras ?

L’orgueil et le faste des sophistes ne purent remplacer l’attitude digne et réservée des anciens philosophes. Le dilettantisme aristocratique, en fait de sagesse, fut estimé plus haut que la pratique de cette même sagesse par les philosophes de profession.

Nous ne sommes pas loin de l’époque où l’on ne connaissait que les côtés faibles de la sophistique. Les railleries d’Aristophane, l’austère gravité de Platon, les innombrables anecdotes philosophiques des périodes subséquentes finirent par accumuler sur le nom de la sophistique tout ce qu’on put imaginer de charlatanisme, de dialectique vénale et d’immoralité systématique. Sophistique est devenu syno-