Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maintenant de savoir en quoi ils diffèrent l’un de l’autre.

Évidemment, il n’y a pas eu de contrat en vertu duquel on pourrait être sensualiste dans la vie intérieure, et matérialiste dans la vie extérieure ; ce point de vue existe très-fréquemment sans doute dans la pratique inconséquente, mais il n’est pas philosophique.

Bien plus, le matérialiste conséquent niera que la sensation existe séparée de la matière ; aussi ne trouvera-t-il dans les actes de la conscience que les effets de changements matériels ordinaires et il les considérera sous le même point de vue que les autres faits matériels de la nature extérieure. De son côté, le sensualiste sera forcé de nier que nous sachions quelque chose des éléments et des objets du monde extérieur en général ; car nous ne possédons que la perception des choses et nous ne pouvons savoir le rapport de cette perception aux objets considérés en eux-mêmes. La sensation est pour lui non-seulement le substratum de tous les actes de la conscience, mais encore la seule donnée matérielle immédiate, attendu que nous n’avons connaissance des choses du monde extérieur que par nos sensations.

Or, par suite de l’incontestable vérité de cette théorie, qui est très-éloignée de la conviction ordinaire et présuppose une conception unitaire du monde, le sensualisme doit apparaître comme un développement naturel du matérialisme (30). Ce développement se fit, chez les Grecs, par l’école qui, en général, entra le plus profondément dans la vie antique en l’agrandissant d’abord et la décomposant ensuite, par la sophistique.

Quelque temps après Démocrite, on racontait que ce philosophe, se trouvant dans Abdère, sa ville natale, avait vu un portefaix disposer, d’une façon particulièrement habile, les morceaux de bois composant son fardeau. Démocrite lia conversation avec lui et fut si étonné de son intelligence qu’il le prit pour élève. Ce portefaix fut l’homme qui provoqua une grande révolution dans l’histoire de la philosophie :