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La morale de Démocrite, malgré la supériorité assignée à l’esprit sur le corps, n’est au fond qu’une théorie du bonheur complètement conforme à son explication matérialiste du monde. Parmi ses sentences morales, qui nous ont été conservées en bien plus grand nombre que les fragments de sa physique, se trouvent certainement beaucoup de leçons de l’antique sagesse, applicables aux systèmes philosophiques les plus divers. Démocrite, en les combinant avec des préceptes empruntés à son expérience personnelle, les exprima trop dans le sens de la pratique populaire pour qu’elles pussent devenir caractéristiques de son système ; cependant il est facile, avec ces fragments, de reconstruire une série de pensées logiques qui reposent sur un petit nombre de principes simples.

Le bonheur consiste dans la tranquillité sereine de l’esprit, à laquelle l’homme ne peut parvenir qu’en maîtrisant ses désirs. La modération et la pureté du cœur, unies à la culture de l’esprit et au développement de l’intelligence, donnent à chaque homme les moyens d’y atteindre malgré toutes les vicissitudes de la vie. Les plaisirs sensuels ne procurent qu’une courte satisfaction et celui-là seul qui fait le bien, uniquement pour le bien même, sans y être poussé par la crainte ou l’espérance, est assuré d’une récompense intime.

Une semblable morale est assurément bien éloignée du sensualisme d’Épicure ou de cet égoïsme raffiné que nous voyons lié au matérialisme durant le XVIIIe siècle. Cependant elle manque du critérium de toute morale idéaliste, d’un principe de nos actions dérivé directement de la conscience et indépendant de toute expérience. Ce qui est bon ou mauvais, juste ou injuste, Démocrite semble le supposer connu sans plus de recherches. La sereine tranquillité de l’esprit est le bien le plus durable ; elle ne peut être obtenue que par des pensées et des actions vertueuses ; ce sont là, pour Démocrite, des données résultant de l’expérience et le bonheur de l’individu gît dans la poursuite de cette harmonie intérieure.