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sur cette dernière que doit en première ligne se porter notre sollicitude. Le bonheur réside dans l’âme ; la beauté corporelle sans intelligence a quelque chose de bestial. On a même attribué à Démocrite la théorie d’une âme divine du monde ; mais en réalité, il n’entendait parler que de la diffusion universelle de cette matière mobile, qu’en langage figuré il pouvait très-bien décrire comme l’élément divin dans le monde, sans lui accorder autre chose que des propriétés matérielles et des mouvements mécaniques.

Aristote persifle Démocrite sur la manière dont l’âme met, selon lui, le corps en mouvement. Il emploie à cet effet la comparaison suivante : Dédale avait, dit-on, fabriqué une statue mobile de Vénus ; l’acteur Philippe expliquait les mouvements de cette statue en disant que Dédale avait probablement versé du mercure dans l’intérieur de cette statue de bois. Voilà précisément, ajoute Aristote, comment Démocrite fait mouvoir l’homme par les atomes mobiles qui sont dans son intérieur. La comparaison est très inexacte (28) ; cependant, elle nous aide à comprendre la diversité absolue de deux principes totalement différents qu’on peut suivre dans l’explication de la nature. Suivant Aristote, ce n’est pas mécaniquement à la façon de la statue, mais par le choix et la pensée que l’âme fait mouvoir l’homme, comme si cela n’avait pas été clair, même pour le sauvage, longtemps avant que la science eût balbutié ses premiers enseignements. Toute notre science consiste à ramener chaque phénomène particulier aux lois générales du monde ; ce travail de notre pensée a pour dernière conséquence de faire rentrer les actes eux-mêmes des êtres raisonnables dans cet enchaînement. Démocrite déduisit cette conséquence ; Aristote en méconnut l’importance.

La théorie de l’esprit, dit Zeller (28 bis), ne dérive pas, chez Démocrite, du besoin général « d’un principe plus profond » pour l’explication de la nature. Démocrite a regardé l’esprit non comme « la force créatrice du monde »,