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formations de l’idée d’atome, l’abîme est tout aussi profond et il ne diminuera en rien, dût-on réussir à établir une théorie complète des fonctions cérébrales et rendre exactement compte de la naissance et de la marche des mouvements mécaniques qui correspondent à la sensation ou, en d’autres termes, produisent la sensation. La science ne doit pas désespérer d’expliquer, au moyen de cette arme puissante, les actes les plus complexes et les mouvements les plus importants de la vie humaine, en recourant à la loi de la conservation de la force et en rapportant ces actes et ces mouvements aux forces de tension devenues libres dans le cerveau sous l’influence des excitations nerveuses ; mais il lui reste éternellement interdit de jeter un pont entre le son le plus simple, en tant que sensation d’un sujet, que ma sensation, et les processus de décomposition dans le cerveau que la science est obligée d’admettre, pour expliquer cette même sensation de son, comme un fait du monde matériel.

Peut-être l’école d’Élée ne fut-elle pas sans influence sur la manière dont Démocrite trancha ce nœud gordien. Cette école regardait le mouvement et le changement comme une simple apparence, une apparence absolument illusoire. Démocrite restreignit cette négation aux qualités sensibles des objets : « Le doux, l’amer, la chaleur, le froid, la couleur, n’existent que dans la pensée ; il n’y a, en réalité, que les atomes et le vide (20). »

La sensation, comme donnée immédiate, étant pour lui quelque chose de trompeur, on conçoit aisément qu’il se plaignît de ce que la vérité était profondément cachée et qu’il accordât à la réflexion une plus grande valeur, au point de vue de la connaissance, qu’à la perception immédiate. Mais comme les concepts, auxquels s’appliquait sa réflexion, étaient combinés avec les données de l’intuition sensible, sa théorie de la nature avait une vérité générale. En ramenant ainsi sans cesse toutes les hypothèses à l’observation de l’image formée en lui par le mouvement des atomes, Démocrite