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abîmes profonds, les dissentiments violents qui séparent chez nous les différents partis. C’est le propre des grands hommes de tous les temps de concilier en eux-mêmes les tendances contraires de leur époque. Ainsi nous apparaissent dans l’antiquité, Platon et Sophocle ; plus un écrivain est grand, moins il nous montre dans ses ouvrages les traces des luttes qui passionnaient les masses de son temps, luttes auxquelles il a dû pourtant, lui aussi, prendre une part quelconque.

La mythologie, qui se présente à nous sous les formes riantes et légères que lui ont données les poëtes grecs et romains, n’était la religion ni des masses populaires, ni des classes éclairées, mais un terrain neutre où les unes et les autres pouvaient se rencontrer.

La multitude croyait bien moins à l’ensemble des divinités de l’Olympe, tel que l’avaient peuplé les poètes, qu’à la divinité spéciale de la ville ou de la contrée, dont l’image, dans le temple, était révérée comme particulièrement sainte. Ce n’étaient pas les belles statues des artistes célèbres qui captivaient la foule dévote ; c’étaient les images antiques, vénérables, grossièrement taillées, mais sanctifiées par la tradition. Il y avait aussi chez les Grecs une orthodoxie roide et fanatique, qui s’appuyait autant sur les intérêts d’une orgueilleuse caste sacerdotale que sur la foi des masses avides des faveurs divines (2).

On aurait peut-être entièrement oublié tout cela, si Socrate n’eût pas été forcé de boire la coupe empoisonnée ; Aristote lui-même s’enfuit d’Athènes pour empêcher cette ville de commettre un deuxième attentat contre la philosophie. Protagoras se vit réduit à fuir, et son écrit sur les dieux fut brûlé par l’ordre des magistrats. Anaxagore emprisonné dut chercher son salut dans la fuite. Théodore l’athée et, vraisemblablement aussi Diogène d’Apollonie, furent poursuivis comme négateurs des dieux. Et ceci se passait dans Athènes, chez le peuple le plus humain de la Grèce !

Aux yeux de la foule, le philosophe même le plus spiri-