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de ces parties, plus destructibles que les autres et qui ne se conservent pas éternellement ; elles ne peuvent non plus, comme éléments primitifs et sensibles, passer d’un être sensible dans un autre. Au reste, dans tout ce passage, Lucrèce attache souvent de l’importance à la structure particulière ; il va jusqu’à montrer qu’une partie d’un corps sensible ne peut subsister par elle-même, ni par conséquent éprouver par elle-même une sensation. Ici encore le poëte se rapproche assez de la conception aristotélique de l’organisme et, sans aucun doute, telle était aussi l’opinion d’Épicure (voir Vers 912 et suiv.) :

Nec manus a nobis potis est secreta neque ulla,
Corporis omnino sensum pars sola tenere.

« La main ne peut vivre séparée de notre corps, dont aucune partie ne peut seule avoir le privilège de sentir. »

71 [page 139]. Il est vrai que, sous un autre rapport, l’admission de cette matière sans nom, la plus subtile de toutes, paraît avoir une importance bien déterminée, mais trahit en même temps un vice grave de la théorie du mouvement. Épicure, contrairement à notre théorie de la conservation de la force, paraît s’être figuré qu’un corps subtil, peut transmettre son mouvement à un corps plus grossier, indépendamment de la masse, celui-ci à un autre corps plus grossier, la somme du travail mécanique se multipliant ainsi graduellement au lieu de rester la même. Lucrèce, III, 246 et suiv., décrit ainsi cette gradation : d’abord, dit-il, l’élément sensible et doué de volonté (voir II, 251-93), met en mouvement la matière chaude, celle-ci le souffle vital, celui-ci l’air mélangé avec Palme, cette dernière le sang, et le sang meut les parties solides du corps.

72 [page 142]. Zeller[1], comprend différemment la chose ; à vrai dire, il admet aussi que la logique du système exigerait une chute des mondes et par conséquent un repos simplement relatif de la terre comparée à notre univers ; mais il n’attribue pas à Épicure cette conséquence logique. Toutefois il a tort de faire remarquer que, dans une chute pareille, les mondes devraient nécessairement s’entrechoquer bientôt. Une telle éventualité ne doit être attendue qu’après un temps très-considérable, vu les énormes distances qui existent probablement entre les mondes. Au reste, dans les vers V, 366-372, Lucrèce admet formellement la possibilité de la destruction des mondes résultant d’une collision ; pour la terre qui vieillit, les petits chocs qu’elle éprouve du dehors compteront parmi les causes de sa mort naturelle. Quant à la manière dont la terre est soutenue dans l’espace par les chocs continuels

  1. Gesch. d. Philos. der Griechen, III, I, p. 382.