Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre son gré, puis avec une ardeur extraordinaire, la fonction de critique d’art, nous montre d’une façon surprenante l’influence du matérialisme sur l’appréciation du beau.

Son Essai sur la peinture et les admirables réflexions de Gœthe, sont dans les mains de tout le monde. Avec quelle ténacité Gœthe insiste sur le but idéal de l’art, tandis que Diderot s’obstine à élever au rang de principe des arts plastiques l’idée de la logique de la nature ! Il n’y a ni ordre ni désordre dans la nature. Au point de vue de la nature (pour peu que notre œil sache discerner les traits délicats d’une composition bien enchaînée dans toutes ses parties), les forme d’un bossu ne valent-elles pas celles de Vénus ? Notre idée de beauté n’est-elle pas au fond une vue étroite et tout humaine ? En répandant et en développant de plus en plus ces pensées, le matérialisme diminue la joie pure que donnent la beauté et l’impression sublime qui résulte de l’idéal.

Diderot était naturellement idéaliste et nous trouvons chez lui des expressions qui décèlent l’idéalisme le plus ardent ; mais cette circonstance ne montre que d’autant plus clairement l’influence du système matérialiste, qui l’entraîne en quelque sorte malgré lui. Diderot va jusqu’à contester que l’idéal, la « vraie ligne », puisse être trouvé par l’assemblage empirique des plus belles formes partielles, que la nature présente. L’idéal émane de l’esprit du grand artiste comme un prototype de la véritable beauté, dont la nature s’éloigne toujours et dans toutes les parties, sous la pression de la nécessité. Cette thèse est aussi vraie que l’assertion d’après laquelle la nature dans la structure d’un bossu ou d’une femme aveugle, poursuivrait jusqu’à l’extrémité des pieds les conséquences de ces défauts une fois existants, avec une finesse que le plus grand artiste lui-même ne peut pas atteindre. Mais ce qui n’est certainement pas vrai, c’est la réunion de ces deux thèses par la remarque que nous n’aurions plus besoin d’aucun idéal, que nous trouverions