Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

depuis quelques années, de son nouveau bonheur à la cour du Grand Frédéric, lorsque l’ambassadeur de France, Tirconnel, que de la Mettrie avait heureusement guéri d’une grave maladie, célébra son retour à la santé par une fête qui conduisit l’étourdi médecin au tombeau. On raconte que, pour faire étalage de sa dévorante capacité et sans doute aussi pour se targuer de sa robuste santé, il mangea si lui seul tout un pâté aux truffes, et qu’aussitôt après il se trouva indisposé et mourut d’une fièvre chaude, dans les transports du délire, à l’hôtel de l’ambassadeur. Cet événement causa une sensation d’autant plus profonde qu’au nombre des questions alors les plus débattues se trouvait précisément celle de l’euthanasie des athées. En 1712, avait paru un ouvrage français, attribué principalement à Deslandes, et renfermant la liste des grands hommes morts en plaisantant. Ce livre avait été traduit en allemand (1747) et n’était nullement oublié. Malgré ses défauts, il acquit une certaine importance parce qu’il contredisait la doctrine orthodoxe ordinaire, qui n’admet la mort que dans le désespoir ou dans la paix avec l’Église. De même qu’on discutait si un athée pouvait avoir une conduite morale et si par conséquent — d’après l’hypothèse de Bayle — un État composé d’athées pouvait subsister ; de même on se demandait si un athée pouvait mourir paisiblement. Contrairement à la logique qui, lorsqu’il est question de poser une règle générale, fait prédominer un seul fait négatif sur toute une série de faits positifs, le fanatisme a coutume en pareil cas d’accorder plus d’importance à un seul fait favorable à ses assertions, qu’à tous les faits qui les renversent. De la Mettrie, mort dans le délire de la fièvre, après avoir mangé trop gloutonnement un grand pâté aux truffes, c’est là un événement bien suffisant pour occuper tout entier l’esprit borné d’un fanatique, au point d’exclure toute autre idée. Au reste cette histoire, qui fit tant de bruit, n’est pas encore à l’abri du doute, en ce qui concerne le point principal, savoir la véritable cause de la mort. Le