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« Voilà, dit en terminant de la Mettrie, le pour et le contre ; je ne me déclare pour aucun parti. » Mais on voit assez clairement de quel parti il se range. Il raconte en effet, un peu plus loin, qu’il a communiqué toutes ces idées à un ami, à un sceptique (pyrrhonien) comme lui, homme de beaucoup de mérite et digne d’un meilleur sort. Cet ami lui a répondu qu’il est sans doute antiphilosophique de se préoccuper de choses que cependant l’on ne peut expliquer ; que néanmoins les hommes ne seront jamais heureux s’ils ne deviennent pas athées. Or voici l’argumentation de cet « abominable » homme : « Si l’athéisme était universellement répandu, l’arbre de la religion serait coupé avec ses racines. Dès lors plus de guerres théologiques ; plus de soldats de religion, de ces soldats si terribles. La nature, auparavant infectée du poison sacré, recouvrerait ses droits et sa pureté. Sourds à toute autre voix, les hommes suivraient leurs penchants individuels, qui seuls peuvent conduire au bonheur par les sentiers attrayants de la vertu. »

L’ami de de la Mettrie n’a oublié qu’un point, c’est que la religion elle-même, abstraction faite de toute révélation doit aussi correspondre à un des penchants naturels de l’homme ; et, si la religion mène à tous les maux, on ne voit pas comment tous les autres penchants, qui émanent cependant de la même nature, peuvent nous rendre heureux. C’est encore ici, non pas une conséquence, mais une inconséquence du système, qui aboutit a des conclusions destructives. De la Mettrie parle de l’immortalité comme il a parlé de l’idée de Dieu ; cependant il se plaît évidemment à la représenter comme possible. Même la plus avisée des chenilles, dit-il, n’a jamais bien su qu’elle finirait par devenir un papillon ; nous ne connaissons qu’une faible partie de la nature, et, comme notre matière est éternelle, nous ne savons pas encore ce qu’elle peut devenir. Ici notre bonheur dépend de notre ignorance. Quiconque pense ainsi sera sage et juste, tranquillisé sur son sort et, partant, heu-