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Qui a le plus d’imagination doit donc être considéré comme le plus grand esprit. On ne saurait dire si la nature a plus dépensé pour former un Newton qu’un Corneille, un Aristote qu’un Sophocle ; mais on peut assurer que les deux genres de talent ne désignent que des directions différentes dans l’emploi de l’imagination. Par conséquent, lorsque l’on dit que quelqu’un a beaucoup d’imagination et peu de jugement, on entend que chez lui l’imagination se porte particulièrement vers la reproduction, et non vers la comparaison, des sensations.

Le premier mérite de l’homme est son organisation. Il serait donc peu naturel de réprimer un orgueil modéré, fondé sur la possession d’avantages réels, et tous les avantages, quelle qu’en soit l’origine, méritent d’être appréciés ; seulement il faut savoir les estimer à leur juste valeur. L’esprit, la beauté, l’opulence, la noblesse, quoique enfants du hasard, ont leur prix aussi bien que l’habileté, la science et la vertu.

Dire que l’homme se distingue des animaux par une loi naturelle, qui lui apprend à discerner le bien et le mal, c’est encore là une illusion. La même loi se retrouve chez les animaux. Nous savons, par exemple, qu’à la suite de mauvaises actions, nous éprouvons du repentir ; d’autres hommes en font autant, nous devons les croire quand ils l’affirment ou nous devons l’inférer de certains indices que nous trouvons en nous-mêmes dans des cas semblables : or ces mêmes indices nous les rencontrons également chez les animaux. Lorsqu’un chien a mordu son maître, qui le tourmentait, nous le voyons, bientôt après, triste, abattu et effrayé ; par une attitude humble et rampante, il reconnaît sa faute. L’histoire nous a conservé le fait célèbre de ce lion, qui refusa de déchirer son bienfaiteur, et se montra reconnaissant au milieu d’hommes sanguinaires. De la Mettrie conclut de tout cela que les hommes sont formés de la même matière que les animaux.