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ouvert la voie par sa classification des plantes. Nous trouvons d’ailleurs dans chaque ouvrage de de la Mettrie la preuve qu’il se tenait avec soin au courant de tous les progrès scientifiques. De la Mettrie cite Linné ; lui-même ne fut cité par aucun de ses successeurs, qui pourtant l’avaient tous lu, à n’en pas douter. Quiconque se laissera entraîner par le courant de la tradition, sans tenir compte de la chronologie, sera naturellement porté à accuser l’ « ignorant » de la Mettrie de se parer des plumes d’autrui !

Rosenkranz donne, en passant, dans son ouvrage sur Diderot (ll, p. 65 et suiv.) un résumé généralement exact de la vie et des écrits de de la Mettrie. Il cite aussi l’Histoire naturelle de l’âme, à la date de 1745. Cela ne l’empêche pas de déclarer le sensualisme de Locke, « tel que Condillac le répandit de Paris dans le reste de la France, comme étant le véritable et réel commencement du matérialisme français » ; puis il ajoute que le premier ouvrage de Condillac parut en 1746. Ainsi le point de départ se montre plus tard que la conséquence dernière ; car, dans l’Histoire naturelle de l’âme, le matérialisme n’est plus recouvert que d’un voile très-transparent. Dans le même ouvrage, nous trouvons une idée qui, suivant toute vraisemblance, inspira à Condillac sa statue sensible.

Ce qui précède suffira provisoirement pour rendre hommage à la vérité ! Si l’enchaînement réel des faits a pu être si longtemps dénaturé, il faut l’imputer à l’influence de Hegel et de son école, et surtout au scandale provoqué par les attaques de de la Mettrie contre la morale chrétienne. Cela fit oublier complètement ses ouvrages théoriques et surtout les plus incisifs et les plus sérieux, entre autres l’Histoire naturelle de l’âme. Bien des jugements sévères sur de la Mettrie comme homme et comme écrivain, ne visaient, en réalité, que ses ouvrages relatifs à la morale. Quant à ses écrits oubliés, ils ne sont point aussi vides, aussi superficiels qu’on se le figure habituellement ;