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été entraîné par Melanchthon, qui se sert des mots exœdificationis materiæ pour expliquer la forme, c’est-à-dire l’âme chez l’homme. En se représentant exactement le point de vue adopté par Aristote, il est aisé de voir que l’expression exædificationis materiæ ou, plus exactement, ipsius rei exædificatio, ne nous apprend pas si la faculté de construire émane de la matière, ou s’il faut l’attribuer à la forme comme à un principe spécial, supérieur et existant par lui-même, que l’on pourrait très-bien désigner par le mot « âme ». Évidemment notre écrivain a voulu ici se retrancher derrière l’autorité de Melanchthon, ou tracasser les théologiens, peut-être les deux choses à la fois. Il ne prend pas son point de vue péripatéticien fort au sérieux, comme semblent le prouver les objections qu’il soulève immédiatement après, à propos de l’explication des formes, et qui finissent par le décider à recourir aux atomes de Démocrite, regardés par lui comme les conservateurs des formes de tous les corps de la nature (52). On dirait qu’il joue pareillement à cache-cache, lorsque l’adversaire apparent du matérialisme, dans la seconde lettre, cherche à reprocher à l’auteur de la première lettre des conséquences athées. Il n’est pas impossible que ce soit là une tactique analogue à celle de Bayle et ayant pour but d’amener le lecteur à ces mêmes conséquences ; et c’est là un autre motif de croire que tout l’ouvrage est sorti d’une seule et même plume.

Le remarquable opuscule, dont nous venons de donner l’analyse, aurait bien mérité d’attirer l’attention, car il n’est nullement isolé comme monument et comme preuve que le matérialisme moderne, — abstraction faite de Gassendi, — est plus ancien en Allemagne qu’en France. Qui connaît aujourd’hui l’excellent médecin Pancrace Wolff, lequel, dès l’année 1697, comme il le dit lui-même dans ses Cogitationibus medico-legalibus, soumettait au jugement (judicio) et à la censure du monde savant la thèse suivante : « Les pensées ne sont pas des actes (actiones) de l’âme immatérielle, mais des effets mécaniques du corps humain et en particulier du