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les plus contradictoires de ses conceptions théoriques.

On représente, avec une si grande opiniâtreté, Diderot comme le chef et l’organe du matérialisme français, ou comme le philosophe qui a le premier converti le sensualisme de Locke en matérialisme, que nous nous verrons forcé, dans le chapitre suivant, d’en finir avec la manie synthétique de Hegel, qui, par son souverain mépris pour la chronologie, à tout embrouille et tout confondu, principalement dans la philosophie des XVIIe et XVIIIe siècles. Tenons-nous en ici ni un fait bien simple, c’est qu’avant la publication de l’Homme-machine, Diderot était loin d’être matérialiste ; son matérialisme se développa par suite de ses relations avec d’Holbach et son entourage ; et les écrits d’autres Français, tels que Maupertuis, Robinet, et probablement même de la Mettrie, qu’on dédaignait, eurent sur Diderot une influence plus décisive que lui-même n’en exerça sur n’importe quel représentant notable du matérialisme. Nous parlons de l’influence « décisive » que d’autres esprits eurent sur le sien, pour lui faire adopter un principe théorique d’une clarté supérieure ; mais Diderot exerça incontestablement une influence considérable, et la fermentation était si grande à son époque, que tout ce qui avait un caractère révolutionnaire contribuait à accélérer le mouvement général des esprits. L’éloge enthousiaste de la morale par Diderot pouvait éveiller dans une autre tête l’idée d’attaquer les bases de la morale elle-même ; le public désirait seulement que les deux écrivains fussent animés d’une haine égale contre la morale des prêtres (Pfaffenmaral et contre la domination du clergé, dégradante pour l’humanité. En proclamant l’existence de Dieu, Voltaire pouvait faire naître des athées ; mais re qui lui importait avant tout, c’était l’arracher à l’Église le monopole de sa théologie, entachée de tant d’abus. Par l’effet de ce courant irrésistible qui attaquait toute autorité, l’opinion devint certainement de plus en plus radicale ; et ceux qui la dirigeaient finirent par employer simultanément