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jours l’air de concilier la science avec la religion, Bayle s’efforça d’en faire ressortir les différences. Dans son célèbre Dictionnaire historique et critique, comme le fait remarquer Voltaire, il n’inséra pas une seule ligne qui attaquât ouvertement le christianisme ; en revanche, il n’écrivit pas une seule ligne qui n’eût pour but d’éveiller des doutes. Quand la raison et la révélation étaient en désaccord, il paraissait se déclarer en faveur de cette dernière, mais la phrase était tournée de façon à laisser au lecteur une impression toute contraire. Peu de livres ont fait sensation autant que celui de Bayle. Si d’un côté la masse des connaissances les plus variées, que l’auteur savait rendre accessibles à tous, pouvait attirer même le savant, d’un autre côté la foule des lecteurs superficiels était captivée par la manière piquante, agréable, dont il traitait les questions scientifiques et cherchait en même temps des occasions de scandale. « Son style, dit Hettner (12), a une vivacité éminemment dramatique, une fraîcheur, un naturel, une hardiesse et une témérité provocatrice ; malgré cela il est toujours clair, et court droit au but ; en feignant de jouer spirituellement avec son sujet, il le sonde et l’analyse jusque dans ses profondeurs les plus secrètes. » « On trouve chez Bayle le germe de la tactique employée par Voltaire et par les encyclopédistes ; il est même à remarquer que le style de Bayle influa sur celui de Lessing qui, dans sa jeunesse, avait étudié avec ardeur les écrits du philosophe français. »

La mort de Louis XIV (1715) fut le signal d’une évolution mémorable dans l’histoire moderne, évolution qui exerça une grande influence sur la philosophie des classes éclairées et sur les destinées politiques et sociales des nations : le développement subit et considérable des relations intellectuelles entre la France et l’Angleterre. Buckle, dans son Histoire de la civilisation, dépeint cette évolution avec de vives couleurs, peut-être parfois trop chargées. Il doute que, vers la fin du XVIIe siècle, il y eût en France plus de cinq