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qui s’agenouillent devant lui et lui font des sacrifices, la protection de la vie et de la propriété.

Le pouvoir absolu de l’État s’étend aussi à la religion et aux opinions quelconques des sujets. Tout comme Épicure et Lucrèce, Hobbes fait dériver la religion de la crainte et de la superstition ; mais tandis que les deux premiers regardent comme le plus noble et le plus sublime problème du penseur de s’élever au-dessus des barrières de la religion, le philosophe anglais utilise cet élément vulgaire pour les besoins de l’État tel qu’il l’entend. Son opinion fondamentale sur la religion se trouve exprimée d’une manière si explicite dans un seul passage qu’on a lieu de s’étonner de la peine inutile avec laquelle on a souvent cherché à connaître la théologie de ce philosophe. Voici ce passage : « La crainte de puissances invisibles, imaginaire ou transmise par la tradition, s’appelle religion, quand elle est établie au nom de l’État ; elle s’appelle superstition, lorsqu’elle n’a pas une origine officielle » (24). Quand ensuite, dans le même livre, Hobbes vient à parler, avec la plus grande placidité d’esprit, de la tour de Babel ou des miracles que Moïse opéra en Égypte (25), comme de simples faits, on ne peut, sans étonnement, se rappeler sa définition de la religion. L’homme qui comparait les miracles à des pilules qu’il faut avaler sans les mâcher (26), n’avait certes qu’un seul motif pour ne pas traiter de fables ces récits merveilleux, c’est qu’en Angleterre, l’autorité de la Bible est fondée sur les lois de l’État. On doit donc toujours distinguer trois cas lorsque Hobbes touche à des questions religieuses. Ou bien il parle conformément à son système, et alors la religion n’est pour lui qu’une variété de superstition (27) ; ou bien il rencontre par occasion des particularités auxquelles il n’applique qu’un seul de ses principes, alors les dogmes religieux ne sont pour lui que des faits dont la science n’a pas à s’occuper ; dans ce dernier cas, Hobbes sacrifie à Léviathan.

On élimine de la sorte, en apparence du moins, les plus