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tuel sceptique Montaigne (64), avait rendu populaire l’assertion hardie que les animaux montraient autant et souvent plus d’intelligence que les hommes. Mais ces idées que Montaigne jetait au public sous forme d’une apologie de Raymond de Sébonde, Hieronymus Rorarius en fit le sujet d’un ouvrage spécial que Gabriel Naudé publia en 1648, sous le titre : Quod animalia bruta sæpe ratione utantur melius homine (65).

Cette thèse paraissait diamétralement opposée à celle de Descartes ; on parvint cependant à concilier les deux opinions contraires, en disant que les animaux étaient des machines, et qu’ils pensaient néanmoins. Il n’y avait plus qu’un petit pas à faire pour arriver de l’animal à l’homme ; or ici encore Descartes avait frayé les voies aux véritables matérialistes, dont on le croirait le précurseur immédiat. Dans son écrit : Passiones animœ, il fait remarquer ce détail important que le cadavre n’est pas mort seulement parce que l’âme lui fait défaut, mais parce que la machine corporelle est elle-même détruite en partie (66). Si l’on songe que, chez les peuples à l’état de nature, tout le développement de l’idée d’âme résulte de la comparaison du corps inanimé avec le corps vivant, et que l’ignorance des phénomènes physiologiques, qui se manifestent dans le corps expirant, contribue puissamment à faire admettre le « fantôme de l’âme », c’est-à-dire cet homme plus subtil, que la psychologie populaire regarde comme la force motrice résidant au dedans de l’homme, on reconnaîtra déjà que la doctrine toute contraire de Descartes sur ce seul point facilite considérablement la réalisation du matérialisme anthropologique. Non moins importante est la reconnaissance sans ambages de la grande découverte de la circulation du sang, faite par Harvey (67). Cette découverte renversait toute la physiologie d’Aristote et de Galien ; et, quoique Descartes ait conservé les « esprits vitaux », ils sont chez lui complètement dégagés de cette nature, équivoque et mystique, qui les rattache à la matière et à l’esprit, et complètement affranchis aussi des relations insai-